Texte: Jens Mortier - Photos: Jef Boes @ Initals LA - Lieu: Rinkven Golfclub

Special Edition
CREATIVE BELGIUM

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‘Êtes-vous ambitieux ?’
Jens Mortier

‘C'est quoi, l'ambition ? J'ai tout simplement pensé que Duval Guillaume marcherait.’
Guillaume Van der Stighelen

Jens Mortier (50) qui discute avec Guillaume Van der Stighelen (62), c’est l’actuel Godfather de la pub belge qui rend hommage à son glorieux prédécesseur. Comme Guillaume aime le golf et que Jens aime rire, la rencontre a eu lieu dans un club de golf. Le résultat ? La toute première interview 18 trous.

Jens Mortier: Les Guillaume qui comptent vraiment, il y en a peu. L'archer helvète à la pomme d'une part, et puis le conquérant belge : Guillaume Van der Stighelen. Pour les plus jeunes d'entre nous : Guillaume est à la pub belge ce que l'air chaud est à la montgolfière, il a mené le secteur au niveau supérieur. Il a eu un énorme impact sur notre métier. J'ai travaillé huit ans pour Guillaume, une éternité dans le monde de la publicité, mais qui ont passé à la vitesse de l'éclair car ce furent des années super intenses.

Lorsque André Duval et Guillaume ont démarré DuvalGuillaume, ils ont arrêté de boire pour se mettre au golf. Moi, je ne joue pas au golf parce que j'aime bien boire. Et pourtant, je rencontre Guillaume en terrain connu. Mon ex-coéquipier créatif - et actuel associé - et moi devions régulièrement aller présenter nos idées à Guillaume 'au golf' ou pour ceux qui préfèrent la version chic, le Rinkven International Golf Club. - Guillaume est ce que l’on pourrait appeler un homme de plein air. Son bateau s'appelle : ‘t Werk ('Au travail’). Ce qui lui permettait de dire : 'je suis au travail'. Nous non plus, nous ne pouvions pas être trop souvent au bureau. Ce n'était pas bon pour notre créativité. Aujourd’hui, il déguste de temps en temps un bon petit vin. Mais il boit surtout du thé. - D'où les 18 trous de Guillaume Van der Stighelen. Ou, en d’autres termes : l'interview en golfant.

HOLE 1 – Qui était ta maman ? Et plus largement : ta famille ?
« Mon père et ma mère, c'était ‘An officer and a gentleman’. Papa était officier, et maman était tout à fait semblable à Debra Winger. Il est d'ailleurs littéralement allé l'enlever du café de ma grand-mère à Anvers pour l'emmener dans le plus pur style ‘Up where we belong’. Ce fut symptomatique de la famille : il y avait beaucoup de romantisme, avec ses bons et ses mauvais côtés. Parce qu'il y avait aussi beaucoup de drames. Chaque conversation devenait un spectacle, comme s'il y avait une caméra dans chaque coin de la pièce. Ils étaient adorables. Maman est morte trop jeune et papa ne l'a jamais encaissé. »

JM – Ils n'ont donc pas assisté à ton succès ?
« Non. Ils n'ont connu de moi que l'enfant rebelle. Il m'est arrivé de penser que ça serait bien de pouvoir leur montrer qu'au final, tout s'est bien passé pour moi. Je sais qu'ils seraient fiers. Je l'ai bien vu lorsqu'en '79 ou '80, j’ai reçu une lettre de la VRT - alors encore BRT - mentionnant qu'ils aimaient un de mes scripts. Le lendemain, la lettre était accrochée au mur, encadrée. -(sourire) Je viens d'un foyer très joyeux. Papa était une sorte de Belcanto, et maman aimait chanter avec lui. Leurs cinq enfants sont aujourd’hui très créatifs dans leurs activités. Mes frères et sœur réussissent bien, chacun(e) dans leur domaine. Et bien que nous ayons des personnalités très différentes, nous sommes très attachés les uns aux autres. »

HOLE 2 – Vous étiez ambitieux ?
« André Duval a un jour dit : ‘Si Guillaume avait été plus ambitieux, il aurait été plus loin.’ Et il y a beaucoup de choses à dire sur ce sujet. C'est quoi, l'ambition ? Je suis en train de jouer evergreens au café et je me dis : 'Tiens, je vais la chanter en anversois, pour changer.' Et cinq ans plus tard, les Grungblavers font salle comble à l’Elisabethzaal dix fois d'affilée. Mais jamais je ne me suis dit : comment m'y prendre pour faire salle comble à l’Elisabethzaal dix fois d'affilée ? J'ai tout simplement pensé que DuvalGuillaume marcherait. Mais André a quand même dû longtemps argumenter pour me convaincre car, au début, je ne me sentais pas encore vraiment prêt pour l'aventure. »

‘Contrairement à certains ex-publicitaires, vous n'avez jamais critiqué le monde de la pub.’
Jens Mortier

‘J'ai au contraire toujours critiqué la publicité. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons créé DuvalGuillaume. On pouvait faire mieux, et différemment.’
Guillaume Van der Stighelen


HOLE 3 – Ça fait déjà 10 ans que vous êtes hors circuit. Ça vous fait quoi comme impression ?
« Rien. Et ça ne me manque pas non plus. Ce fut une époque fantastique. Et à présent, j'écris ma chronique hebdomadaire et un livre de temps en temps. Et avec les Grungblavers, on écrit et on chante. Donc en fait, je fais ce que je faisais précédemment. C'est sans doute pour cela que la pub ne me manque pas. » (rires)

JM – Contrairement à certains ex-publicitaires, vous n'avez jamais critiqué le monde de la pub, après coup.
« J'ai toujours critiqué la publicité. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons créé DuvalGuillaume. On pouvait faire mieux, et différemment. On me demande encore tous les jours de donner mon avis sur l'une ou l'autre campagne. Je figure encore dans les fichiers. (rires) Mais je sais à quel point on travaille dur dans la publicité. Alors aller donner mon avis comme observateur... non. Les gens ne connaissent pas le contexte. Ils ont cette image des publicitaires imaginant une chose et cette chose paraît comme par enchantement. Mais il y a les commanditaires, la législation, et il y a un tas de contraintes budgétaires et d'autres obstacles. C'est incroyablement difficile de sortir quelque chose d'original. Et soit on atteint parfaitement la cible, soit on la rate de façon monumentale. Pour faire un lien avec le golf - je m'en charge, puisque vous ne le faites pas - regardez cette dame, là : elle va frapper la balle. Ça peut réussir et ça peut rater. Et... c'est raté. Mais on n'en rit pas. On fait comme si on n'avait rien vu. Parfois, on réalise un coup comme Thomas Pieters et parfois un coup comme vous là maintenant. » (rires)

HOLE 4 – Vous êtes un amoureux de la langue. On entend de plus en plus de fautes de langage élémentaires dans la publicité. Il n'y a pas moyen de les filtrer de manière structurée et de les corriger si nécessaire ?
« Vous voulez parler des phrases du genre ‘Cette semaine les carottes à 5 euros ?’ Ça ne devrait bien évidemment pas être autorisé. Mais honnêtement, si je compare les textes publicitaires à certains textes de journaux, les textes publicitaires sont souvent plus soignés. Les copywriters disposent bien sûr d'un peu plus de temps, et ils sont probablement mieux payés. » (rires)

HOLE 5 – Ça vous arrive encore de concevoir un slogan dont vous vous dites : 'Yes !' ? Et essayez-vous alors de le vendre ?
« Oh… ça arrive. Quand je vois des choses comme ‘Jupiler 0,0 pour cent’, je me demande comment on arrive à prononcer ça quand on passe commande. ‘Pour moi une Jupiler zéro virgule zéro, s'il vous plaît’ ? Appelez-là simplement ‘Jules’. Si Johnny Thys était encore chez Inbev, je lui aurais peut-être donné un petit coup de fil. »

HOLE 6 – Don’t drink and drive.
« Jadis, ça buvait sec dans le monde de la pub. Lorsque nous avons démarré DuvalGuillaume, André et moi avons arrêté de boire du jour au lendemain. André n'était pas tout à fait rassuré. Il voulait être sûr que je n'avais pas d'addiction. Le fait que nous ayons arrêté de boire nous a procuré énormément d'énergie. Et tandis que la plupart des publicitaires imbibés en disaient un peu trop lors des petites fêtes, les gens sobres que nous étions n'en perdaient pas une miette. Nous en avons régulièrement retiré un avantage concurrentiel. À présent, je me risque à nouveau à boire quelque chose d'alcoolisé. Mais même avec seulement un verre de vin, le dynamisme n'est plus le même. »

HOLE 7 – Pour vous, la publicité se devait d'être avant tout un bon divertissement. À présent, les campagnes doivent être socialement pertinentes et 'meaningful' (‘qui font sens’). Et #metoo rend tout le monde nerveux.
« Mon interprétation de #metoo, c'est surtout : ‘J'ai aussi le droit à la parole. Et ce n'est pas parce que je ne peux pas l'exprimer de façon cinglante que mon opinion ne compte pas.’ D'ailleurs, je ne pense pas que les filles qui ont témoigné contre Bart De Pauw voulaient le clouer au pilori. Je pense qu'elles voulaient surtout dire : ‘Nous voulons qu'on nous entende pour qu'on puisse dire à ce monsieur que ce qu'il fait n'est pas bien’. »

 

 

‘La révolution digitale va-t-elle sonner le glas de la publicité ?’
Jens Mortier

‘La publicité, c'est le deuxième plus vieux métier du monde. Dès que quelqu'un à quelque chose à offrir, il faut en faire la promotion. Donc la publicité n'a pas fini de nous accompagner.’
Guillaume Van der Stighelen


HOLE 8 - La révolution digitale va-t-elle sonner le glas de la publicité ?

« La publicité, c'est le deuxième plus vieux métier du monde. Dès que quelqu'un à quelque chose à offrir, il faut en faire la promotion. Donc la publicité n'a pas fini de nous accompagner. Et précisément parce qu'un trop-plein de publicité - y compris sa variante digitale - devient tellement intrusif, il y aura toujours un marché pour les gens qui peuvent sortit du lot d'une manière jugée non-dérangeante. »

JM – Est-ce une mauvaise idée que d'empêcher l'avance rapide des publicités à la télé ?
« Absolument. Mais c'est révélateur de notre époque : nous combattons les symptômes et non pas les causes. On pourrait aussi placer des gens à côté des boites aux lettres pour voir qui jette les folders publicitaires à la poubelle. Alors qu’il suffirait de faire en sorte que la publicité soit un programme télé agréable à regarder… »

HOLE 9 – Quelles sont à votre avis les trois meilleures campagnes ou slogans publicitaires de l'histoire de notre pays ?
« Je m'en tiendrai aux slogans. ‘De Tijd. Voor kennis van zaken.’ Par feu Willem Lagruyère. Ensuite : ‘Axion (à l'époque encore Crédit Communal). Eerste hulp bij jonge gevallen.’ Par un Jens toujours de ce monde. Et enfin : ‘Laperre. En u hoort er weer bij.’ J'ignore qui a écrit ceci, mais je trouve ce slogan fantastique. »

JM – Et au niveau international ?
« À la fin des années soixante, Coca Cola osait prêcher la solidarité entre les peuples. Probablement plus dans la perspective de débouchés commerciaux futurs que dans celle de paix universelle, mais ils l'ont quand même fait. Notamment en pleine guerre du Vietnam. Cherchez 'Hill Top' sur Google et voyez comment une grande marque osa s'opposer à l'esprit petit-bourgeois de son temps. Les campagnes Volkswagen de Bill Bernbach ont aussi révolutionné le monde de la pub. 'Think small', écrit Bernbach. Dans une Amérique où tout devait être BIG. Il y a aussi le lancement du Macintosh d'Apple, bien sûr. Une petite boite d'informatique qui osait attaquer IBM en disant que tout le monde devrait avoir un ordinateur à la maison, c'était du jamais vu. »

JM – Et quel est le pire slogan que vous n’ayez jamais écrit ?
« La liste est trop longue. »

‘Jouer au golf et travailler dans la publicité, c'est dans une large mesure la même chose. Multiplier les essais et ressentir une grande euphorie quand par chance on réussit.’
Guillaume Van der Stighelen


HOLE 10 – Que vous apporte le golf, que la publicité ne pouvait pas vous donner ?
« Être à l'extérieur. Bouger. Sinon, c'est la même chose. Multiplier les essais et ressentir une grande euphorie quand par chance on réussit. »

JM – En quoi êtes-vous meilleur : en golf ou en publicité ?
« Je crois que j'avais un peu plus de talent inné pour la publicité. »

HOLE 11 – Le networking sur les greens, c'était votre genre ?
« Non. J'ai toujours trouvé très gênants les gens qui voulaient faire du networking au golf. Il y a des gens avec lesquels j'ai joué au golf chaque semaine pendant trois ans, avant d'apprendre ce qu'ils faisaient dans la vie. Le golf vous absorbe complètement. »

HOLE 12 – Comment ces quinze années DuvalGuillaume se sont-elles déroulées ?
« Comme un rêve. J'avais un bon partenaire. Et nous attirions les meilleurs talents du secteur. Comme collaborateur et comme client. Ça nous a non seulement facilité la tâche, mais en plus on travaillait vraiment avec plaisir. »

 

 

HOLE 13 – Rétrospectivement, qu'est-ce que vous auriez pu faire différemment ?
« Des 1 500 films publicitaires que nous avons réalisés en quinze ans, il y en a une cinquantaine qui sont restés dans la mémoire collective. Les 1 450 autres films auraient pu être meilleurs. »

HOLE 14 – Vous suivez encore ce que fait DuvalGuillaume ?
« J'en suis complètement sorti. J'ignore qui fait quoi à présent. »

HOLE 15 – Publicis vous a viré de votre agence la semaine où votre fils Mattias est décédé. Vous en gardez de la rancune ?
« Non. Ils m'avaient donné une belle mission : je devais parcourir le monde pour enrichir les bureaux Publicis au niveau créatif. Mais un nouveau CEO est arrivé, qui avait un autre projet dans lequel je n'avais pas ma place. Ma lettre de licenciement est arrivée exactement au moment où je voulais annoncer à Publicis que je ne travaillerais plus pour eux. Il était devenu impensable pour moi de parcourir le monde après la mort de Mattias. Mais le nouveau CEO m'a coupé l'herbe sous le pied et j'ai en plus pu profiter d'une grassouillette indemnité de licenciement. »

HOLE 16 – Que faire avec cet argent ? L’investir ?
« Ma fille se marie. Et avec des amis, j'ai créé une holding avec laquelle nous effectuons de petites acquisitions dans le domaine de la construction. »

HOLE 17 – Un bon conseil pour les annonceurs ?
« Non, ce temps-là est révolu. À vous l'honneur. »

HOLE 18 - Et pour les publicitaires d'aujourd'hui ?
« Je répèterai l’excellent conseil que j'ai moi-même reçu du patron de Danone de l'époque, Marc Verhamme : ‘Si vous voulez réussir dans les affaires, vous devez être exigeant sur deux choses : la qualité de vos produits et la qualité de vos clients. Tout le reste est secondaire.’ »

JM – Merci, Guillaume. Pour tout.